Le 9 mai dernier, le président de l’ADGMRCQ, M. Joffrey Bouchard, a envoyé une lettre faisant le point sur les défis juridiques de la mise en en œuvre des PRMHH. Nous reproduisons ici le contenu de cette lettre.
« Suivant les échanges importants que nous avons eus lors de notre récent colloque au sujet de la question des plans régionaux des milieux humides et hydriques (PRMHH), nous nous étions engagés à vous revenir suivant différentes validations. J’en profite pour remercier Jean-Maxime Dubé de la MRC Rimouski-Neigette, notre directeur général Jacques Laberge ainsi que les ressources techniques de la MRC Marguerite D’Youville pour leurs démarches et le travail technique effectué dans ce dossier.
Les PRMHH sont en voie d’être complétés et plusieurs sont même déjà déposés. Le temps est donc venu d’entreprendre le processus de mise en œuvre des PRMHH. Or, les récents développements jurisprudentiels ont engendré une grande incertitude sur le monde municipal, et nous constatons que des poursuites actuelles et potentielles de plusieurs centaines de millions de dollars pèsent actuellement sur les municipalités.
Mise en contexte
Les municipalités et les MRC disposent de plusieurs outils pour assurer la mise en œuvre des objectifs fixés dans les PRMHH, notamment les modifications réglementaires, la restauration de milieux naturels, l’acquisition de milieux naturels, les ententes de partenariat, la sensibilisation et la communication, etc.
Au niveau réglementaire, les municipalités et les MRC peuvent adopter des mesures de protection de l’environnement via les règlements suivants:
- Règlement de contrôle intérimaire;
- Schéma d’aménagement et de développement;
- Règlement de zonage;
- Règlement de lotissement;
- Règlement d’urbanisme à caractère discrétionnaire.
Ces outils réglementaires sont de réels atouts en termes de protection des milieux naturels et de lutte contre les changements climatiques. Toutefois, les risques juridiques associés à l’adoption de dispositions réglementaires visant à protéger les milieux naturels sont bien réels. Les recours en dommage, pour expropriation déguisée, s’accumulent déjà auprès de la CMM.
Défi juridique au Québec : l’expropriation déguisée
Selon l’article 952 du Code civil du Québec, « Le propriétaire ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est par voie d’expropriation faite suivant la loi pour une cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité. »
Pour être légale, l’expropriation doit respecter les trois critères suivants :
- Être autorisée par une disposition législative expresse;
- Être pour une cause d’utilité publique (ex: la protection de l’environnement, que le bénéfice soit présent ou futur);
- Prévoir une indemnisation du propriétaire pour le préjudice subi.
Les tribunaux concluent généralement à une expropriation déguisée lorsque :
- Il y a une négation absolue de l’exercice du droit de propriété;
- Le propriétaire est privé de toute utilisation raisonnable de la propriété;
- La propriété est absolument inutile à son propriétaire.
En revanche, les tribunaux estiment que les éléments suivants ne suffisent pas à établir qu’il y a eu expropriation déguisée :
- Les limitations occasionnent une perte de profit;
- Le règlement cause une perte de valeur à l’immeuble ou un préjudice économique;
- Un projet ne peut être réalisé comme initialement prévu;
- Les limitations ne stérilisent qu’une partie du droit de propriété.
Une jurisprudence en évolution
La question de savoir ce qui constitue une véritable confiscation du droit de propriété relève avant tout de l’appréciation des faits par le juge d’instance. Cela contribue à expliquer la disparité dans les décisions récentes, car il s’agit tous de cas d’espèce. La jurisprudence contient autant d’exemples où l’argument en expropriation déguisée a été accueilli, que d’exemples où il a été rejeté.
Cette disparité est illustrée dans deux décisions récentes :
- Pillenière, Simoneau c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville, 2021 QCCS 4031 (Cour supérieure du Québec);
- Dupras c. Ville de Mascouche, 2022 QCCA 350 (Cour d’appel du Québec – Refus de la Cour suprême du Canada d’entendre la cause).
L’importance de la notion d’utilisation raisonnable
Même si un règlement est adopté en conformité avec le paragraphe16° du deuxième alinéa de l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, la question suivante demeure : Est-ce que le règlement permet encore une utilisation raisonnable pour le propriétaire, même s’il ne s’agit pas de l’utilisation la plus profitable ?
Cette analyse doit non seulement se faire par rapport à l’utilisation potentielle optimale du terrain, mais aussi compte tenu de la nature du terrain et des diverses utilisations raisonnables dont il a effectivement fait l’objet dans le passé (Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville), 2006 CSC 5).
Quelques exemples d’une utilisation raisonnable d’un terrain :
- Une classe d’usage « Commerce récréotouristique » offre une utilisation raisonnable d’un terrain, même si elle ne permet pas le développement souhaité (Municipalité de Saint-Colomban c. Boutique de golf Gilles Gareau Inc., 2019 QCCA 1402);
- L’établissement de mesures de protection visant à contrer la dégradation des berges et à maintenir la qualité de l’eau (Wallot c. Québec (Ville de), 2011 QCCA 1165);
- Les cas où seule une partie du droit de propriété est restreint;
- L’interdiction de construire sur des lots non adjacents à des chemins publics;
- L’établissement de prohibitions quant à la coupe d’arbres, limitant ainsi la possibilité d’effectuer un projet résidentiel (Pillenière, Simoneau c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville 2021 QCCS 4031).
Bien que le droit de propriété au Québec n’ait rien d’absolu, le législateur doit réitérer ce principe et indiquer clairement que la protection de l’environnement ne donne pas droit à compensation.
Des solutions
À court terme, la municipalité devrait appuyer son règlement sur le paragraphe16° du deuxième alinéa de l’article 113 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, et s’assurer de préserver une utilisation raisonnable de l’immeuble.
Toutefois, cette solution n’est pas garante de la protection de la municipalité, car elle dépend de l’interprétation des tribunaux. Par exemple, dans les décisions récentes (Dupras c. Ville de Mascouche, Pillenière, Simoneau c. Ville de Saint-Bruno-de-Montarville), l’utilisation d’une forêt n’a pas été jugée raisonnable, alors qu’il y a de la demande sur le marché pour de tels lots.
À plus long terme, une évolution jurisprudentielle de la notion d’utilisation raisonnable d’un immeuble pourrait hypothétiquement régler l’incertitude autour de la protection des milieux naturels au Québec.
C’est la raison pour laquelle l’ADGMRCQ préconise plutôt une modification législative précisant que les règlements municipaux adoptés en vue de mettre en œuvre les PRMHH ou en vue d’entreprendre toute autre mesure législative dont l’objet est la conservation de milieux naturels ne donnent pas droit à compensation ni ne peut être interprétée comme étant une expropriation déguisée.
Ainsi, l’article 113 de la LAU pourrait être modifié par l’ajout, après le quatrième alinéa, de l’alinéa suivant : « L’exercice des pouvoirs réglementaires prévus aux paragraphes 12.1°, 16° et 16.1° du deuxième alinéa par une municipalité́ ne donne pas lieu à compensation. »
Finalement, nous sommes d’avis qu’il appartient à chaque MRC d’évaluer ses risques et sa stratégie et d’adopter le rythme souhaité pour la finalisation et la mise en œuvre de leur PRMHH respectif. »